Le Petit et le Grand-Brûlé,
des lieux mal nommés
par Marc-Gabriel Vallières
Article publié dans La Feuille de Chêne, juin 2011, page 11.
En voulant expliquer l'origine de deux lieux-dits de Saint-Eustache, le Grand-Brûlé et le Petit-Brûlé, plusieurs ont affirmé qu'il s'agissait là du souvenir des ravages causés par la marche de l'armée Anglaise et des Volontaires vers Saint-Benoît, au lendemain de la bataille du 14 décembre 1837. Mais, faut-il le répéter, rien n'est plus faux! En effet, de très nombreux documents bien antérieurs à 1837 font référence au Petit et au Grand-Brûlé. Une autre version dit qu'il y aurait eu jadis un feu de tourbe qui aurait duré de longs mois, mais aucun document ancien n'atteste cette hypothèse. Alors d'où viendraient ces noms énigmatiques?
En langue gaélique, parlée autrefois non seulement en Irlande mais aussi en Écosse même si les dialectes n'étaient pas identiques, le mot «burn» signifiait de l'eau. Le terme est passé à l'anglais médiéval en prenant la signification de ruisseau. Pour les premiers Écossais arrivés à Montréal, il était donc tout à fait normal de parler d'un «burn» en faisant référence soit aux petites rivières, soit aux fossés qui permettent l'écoulement des eaux entre les terres. Lorsque James McGill a légué à sa mort son domaine montréalais pour en faire une université, le terrain était parcouru par un petit ruisseau d'où le nom de «Burnside» qu'il lui avait donné, c'est-à-dire «au bord du ruisseau». Ce nom subsiste encore aujourd'hui dans la rue Burnside, près de la Place Ville-Marie, qui marque la limite sud de son ancien domaine.
Où s'établissent nombre d'Écossais en arrivant à Saint-Eustache à la fin du XVIIIe siècle et au tout début du XIXe? En haut de la paroisse près de la Fresnière, de part et d'autre de la rivière du Chêne appelée à l'époque «la Petite Rivière». Rien de plus naturel pour ces arrivants d'en avoir traduit le nom dans la langue de leurs ancêtres sous le vocable de «the small burn»! Et comme à cet endroit se situe une fourche dans la rivière où se rejoignent la rivière au Prince qui vient de Saint-Benoît et la Belle-Rivière, plus petite, qui vient de Sainte-Scholastique, il n'y a qu'un pas à franchir pour parler du «large burn» pour le bras sud en haut de la Fresnière et du «small burn» pour le bras nord! Entendant cela, les Canadiens peu familiers avec la langue de Walter Scott et de Rabbie Burns n'auront compris que la signification anglaise commune du terme «burn», soit de «brûlé». Le «grand ruisseau» est donc devenu le Grand-Brûlé et le «petit ruisseau» le Petit-Brûlé!
Les noms de Petit-Brûlé et de Grand-Brûlé subsistent encore de nos jours surtout chez les plus vieux, même si plusieurs d'entre nous ont maintenant une certaine difficulté à en délimiter l'emplacement exact. Mais plus personne ne se souvient de l'origine de ces noms, pourtant bien liés à notre héritage écossais.
Notons que la côte du Grand-Brûlé subsiste à peu près telle quelle aujourd'hui dans la continuation de la Fresnière à Saint-Benoît, jusqu'à l'actuel chemin du Grand-Brûlé, alors que le Petit-Brûlé est maintenant morcelé. Une première section de sa côte nord correspond à la montée Laurin, alors que le reste a servi au percement de la route 148, avec les deux côtes Saint-Louis. Quant à la côte sud du Petit-Brûlé, il s'agit aujourd'hui de la côte Saint-Joachim dans Saint-Benoît et Sainte-Scholastique.
La maison James dit Carrière sur la montée du Grand-Brûlé, au coin de la côte Saint-Vincent.
(photo MGV, 2011)