4. Marie-Anne de Niverville(1)
par Marc-Gabriel Vallières, publié dans La Feuille de Chêne, février 2015, pages 4-5.
Certains personnages du passé sont sortis par erreur de la mémoire collective. Plusieurs résidents de la région de Saint-Eustache, des membres de la famille MacKay entre autres, sont les descendants directs de Louis Herbin, chevalier de l'Ordre de Saint-Louis et capitaine de l'armée du roi Louis XV. Après la mort de ce militaire sa veuve, Marie-Anne de Niverville, a habité Saint-Eustache dans la côte du Lac et sur la rue Saint-Eustache. Voyons donc ce que nous apprennent les archives sur la veuve Herbin et sa famille.
Louis Herbin, chevalier de Saint-Louis
Le 25 novembre 1711 est baptisé à Montréal Frédéric-Louis Herbin, fils de Frédéric-Louis Herbin, lieutenant de marine, et de Louise-Françoise Lambert-Dumont. Premier lien du personnage avec Saint-Eustache: Louise-Françoise est la soeur cadette d'Eustache Lambert-Dumont qui est devenu quatre ans plus tôt co-seigneur des Mille-Îles par son mariage avec Charlotte-Louise Petit.
Suivant les traces de son père, Frédéric-Louis embrasse la carrière militaire. à seize ans, le 12 avril 1727, il devient enseigne en second dans les troupes de la marine. Il gravit petit à petit les échelons de son régiment en Nouvelle-France. Huit ans plus tard, le 1er avril 1735, il est nommé enseigne en pied puis, le 27 avril 1742, il devient lieutenant. Le 15 février 1748 enfin, il est nommé capitaine, quelques années à peine avant le début de ce qui deviendra la guerre de la conquête.
En 1757, Frédéric-Louis Herbin est nommé commandant du fort Saint-Frédéric sur le lac Champlain, poste qu'il occupe jusqu'à la destruction du fort devant la progression de l'armée anglaise en 1759.
Le 1er janvier 1759, le marquis de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, reçoit de Versailles des lettres d'instructions par lesquelles le capitaine Frédéric-Louis Herbin accède à la récompense suprême pour un militaire de sa majesté: il est fait Chevalier de l'Ordre royal et militaire de Saint-Louis. Cette distinction n'était pas qu'honorifique. Le roi versait à cette époque à tout chevalier une pension de 800 à 2 000 livres par an.
La Croix de Saint-Louis
(photo tirée de Fauteux, page frontispice)(2)
Après la conquête, Frédéric-Louis Herbin passe en France où il continue de servir le roi de France. En 1767, il était capitaine du régiment d'Alençon.
Son épouse: Marie-Anne de Niverville
Le 28 février 1740, alors qu'il n'est encore qu'enseigne en pied, Frédéric-Louis Herbin épouse dans l'église de Chambly Marie-Anne-Madeleine Boucher de Niverville, fille de Jean-Baptiste Boucher de Niverville et de Marguerite-Thérèse Hertel. Le lendemain, les époux passent chez le notaire Hodiesne du même lieu pour signer leur contrat de mariage.
Événement à noter, le frère de la mariée, Jean-Baptiste Boucher de Niverville fils, et la soeur du marié, Marguerite Herbin, s'épouseront à leur tour à Montréal, cinq ans plus tard.
Le couple a un fils, nommé Louis-Frédéric comme son père et son grand-père. Comme eux, il va devenir militaire et comme son père il va recevoir la Croix de Saint-Louis, en 1777. Devenu général de brigade à la Révolution, il meurt à Alençon en 1823.
Ils ont aussi une fille, Louise-Marguerite, qui a épousé Samuel Mackay et dont la descendance va jouer un grand rôle à Saint-Eustache et dans la région.
Marie-Anne-Madeleine ne semble pas être passée en France avec son mari et leur fils en 1760. Elle habite depuis 1755 une maison rue Notre-Dame à Montréal et elle y possède une terre, près des fortifications. En mars 1789, elle vend ses propriétés de Montréal et acquiert des terrains à Saint-Eustache, dans la seigneurie de l'oncle de son défunt mari.
Le 24 mars 1789, se faisant désormais appeler «veuve Herbin», elle achète devant le notaire Soupras de Pointe-Claire une terre dans la côte du Lac. Cette terre appartenait auparavant au marchand André Lemaire dit Saint-Germain. Il s'agit de la terre 53 au cadastre de la paroisse de Saint-Eustache, où a été construite en 1916 la maison Bélair, sur le chemin d'Oka, à la limite des villes de Saint-Eustache et de Deux-Montagnes.
Trois jours plus tard, devant le notaire Joseph Papineau, elle achète un emplacement sur la rue Saint-Eustache des mains de William Goodall et Robert Raskleigh. Ce terrain correspond aujourd'hui à l'immeuble abritant un commerce de dépanneur, au 78 de la rue Saint-Eustache, au coin de la rue Lemay.
Le 23 septembre de l'année suivante (1790), Marie-Anne de Niverville, veuve Herbin, fait son testament. Elle habite toujours Saint-Eustache. Elle lègue la propriété de ses biens à ses petits-enfants Louise et Stephen Mackay. Ce dernier deviendra, à partir de 1821, un important notaire de Saint-Eustache. Elle lègue cependant l'usufruit, c'est-à-dire la jouissance, à sa fille Louise-Marguerite, veuve de Samuel Mackay, de son vivant «maître des eaux et des forêts en cette province». Fait à noter, elle ne fait aucune mention dans son testament de son fils Louis-Frédéric, à ce moment aux prises avec la tourmente révolutionnaire en France.
En 1803, avec l'accord de ses enfants, Louise-Marguerite vend l'emplacement de la rue Saint-Eustache au marchand Duncan McGillis qui va y construire une imposante maison de pierre. La terre de la côte du Lac, quant à elle, est conservée par les notaires Stephen Mackay, père et fils, jusqu'en 1853.
Le nom de Herbin n'existe plus de ce côté-ci de l'Atlantique. Mais sous le patronyme de Mackay, la mémoire de la Croix de Saint-Louis, au siècle des lumières, survit toujours.
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(1) Cet article a déjà été publié il y a maintenant plus de dix-sept ans dans La Revue des Deux-Montagnes (numéro 8, octobre 1997, pages 81-86). Nous l'avons repris ici car il s'intègre bien dans cette série qui vise à décrire l'ensemble des personnages du Régime français dont la mémoire a été conservée dans les archives. Référez-vous à la version de 1997 pour connaître l'ensemble des références.
(2) Fauteux, Aegidius, Les chevaliers de Saint-Louis en Canada, Montréal, Les Éditions des Dix, 1940.