Une famille de meuniers : les Marier
par Marc-Gabriel Vallières
Article publié dans La Feuille de Chêne, février 2016, pages 4-5.
Plusieurs familles ont perpétué, tout au long de l'histoire, des métiers et des professions durant de nombreuses générations. Dans les Laurentides et en Outaouais, on peut prendre l'exemple de la famille Mackay qui a produit de très nombreux notaires depuis près de deux cents ans, soit depuis Stephen Mackay père à Saint-Eustache en 1821. Encore aujourd'hui, des Mackay exercent toujours cette profession. Une autre famille a exercé le métier de meunier sur au moins trois générations, tout au long du XIXe siècle, d'abord dans la seigneurie des Mille-îles puis aux Pays-d'en-Haut : les Marier.
Le premier membre de la famille à nous intéresser est Joseph Marier, né en 1782 à Saint-François-de-Sales sur l'île Jésus, fils de Joseph et d'Angélique Grenier. En 1804, à l'âge de dix-huit ans, il épouse Thérèse Rochon à Sainte-Thérèse. Le 8 octobre 1821, il loue d'Eustache-Nicolas Lambert-Dumont, seigneur de Saint-Eustache, les deux moulins situés à l'embouchure du lac des Deux-Montagnes, mieux connus sous le nom de Grand-Moulin, de même que l'île Spénard qui y est attenante, aujourd'hui île Turcotte(1). Il y demeure le meunier du lieu jusqu'à son décès survenu en 1834, ayant probablement contracté le choléra avec son épouse qui décède trois jours après lui.
Trois de ses fils vont devenir meuniers dans les Laurentides. Un premier, Joseph fils, nait à Saint-Eustache en 1807. En 1830, il y épouse Elmire Spénard, fille de Jean-Baptiste Flavien et de Marguerite Biroleau dit Lafleur. Plusieurs Spénard habitent autour du Grand-Moulin et y travaillent, soit comme meuniers, comme cultivateurs ou pour opérer le bac qui permet de traverser à l'île Jésus. Joseph Marier fils perpétue le métier de son père au Grand-Moulin. En 1843, il signe un bail pour le moulin avec Gabriel Roy, procureur de la jeune seigneuresse Virginie Lambert-Dumont(2). Dans les années 1860, Joseph fils va finir ses jours chez son frère Adolphe à Sainte-Adèle, où il décède en 1873.
Le second fils de Joseph Marier père, Léon, devient lui-aussi meunier. Né en 1811, il épouse Julie Ducharme à Saint-Eustache en 1834. Il fait d'abord son apprentissage comme meunier dans les années 1840 à Saint-Martin, probablement au moulin du Crochet. En 1847, les seigneurs de Saint-Eustache qui sont aussi seigneurs de l'Augmentation des Mille-îles lui concèdent quatre terres au début de la côte Saint-Gabriel(3), entre les lieux qui deviendront Saint-Sauveur et Sainte-Adèle cinq ans plus tard. Dans les années 1850, il est devenu maître-meunier pour le seigneur Joseph Lefebvre de Bellefeuille au moulin du village de Saint-Jérôme. Il décède en 1859 à Sainte-Adèle, à l'âge de 48 ans.
Le troisième fils de Joseph Marier père, Adolphe, est un personnage hors du commun. Non seulement va-t-il opérer d'abord un moulin pour Augustin-Norbert Morin à Sainte-Adèle, mais il va acquérir lui-même plusieurs autres moulins entre Sainte-Adèle et Sainte-Agathe et les opérer tout au long de sa vie. Il va aussi devenir le gérant local d'Augustin-Norbert Morin et, dans les années 1850 et 1860, être le principal agent de développement du village naissant de Sainte-Adèle.
Adolphe Marier
(photo tirée de l'album du cinquantenaire de la paroisse de Sainte-Agathe, 1912)
C'est peu après son mariage avec Esther Grignon à Saint-Eustache en 1844 qu'Adolphe Marier gagne les Cantons du Nord. En 1851 il habite le canton d'Abercrombie où les Syndics pour la construction de la première église de Sainte-Adèle lui confient le mandat de recueillir les donations au nom de la Paroisse. En septembre 1852, il devient l'agent officiel d'Augustin-Norbert Morin pour lotir et vendre les emplacements du futur village de Morinville, qui deviendra Sainte-Adèle. Morin, qui s'est fait concéder plusieurs milliers d'acres de terre dans les 9e, 10e et 11e rangs du canton d'Abercrombie pour y promouvoir la colonisation, est à cette époque orateur de l'Assemblée législative du Canada-Uni. Il devient même co-premier-ministre avec Sir Francis Hincks en cette année 1851. Adolphe va d'abord opérer le moulin à farine qui était situé là où sera plus tard construite l'usine de la compagnie de papier Rolland à Mont-Rolland. Il achète aussi des pouvoirs d'eau le long de la rivière du Nord dans le canton Morin et jusque dans le canton Beresford pour y ériger d'autres moulins. Il devient un des premiers promoteurs du développement de la région de Sainte-Agathe-des-Monts où il opère des moulins entre 1868 et 1880.
Le moulin d'Augustin-Norbert Morin à Sainte-Adèle, opéré par Adolphe et Jacques-Adolphe Marier
(BAnQ P7,S13,D14,P38)
Une troisième génération de la famille Marier va encore oeuvrer dans la meunerie dans les Laurentides. Fils de Joseph Marier fils, Jacques-Adolphe nait à Saint-Eustache en 1836. Il suit son oncle Adolphe à Sainte-Adèle où il épouse en 1869 Émilie Lachaîne, la fille du docteur Joseph-Benjamin Lachaîne. Originaire de Sainte-Thérèse, le docteur Lachaîne est le grand ami d'Augustin-Norbert Morin. En 1861, devenu gravement malade, Morin vend toutes ses installations de Sainte-Adèle à Lachaîne. C'est d'ailleurs dans son ancien «manoir» de la rue de la Rivière, devenue la maison du docteur Lachaîne à Sainte-Adèle(4), que Morin va rendre l'âme en 1865. C'est donc en quelque sorte l'héritière du projet de Morin, Émilie Lachaîne, que le meunier Jacques-Adolphe Marier épouse en 1869. Il continue le travail de son oncle Adolphe au moulin et, après le décès du docteur Lachaîne en 1878, s'occupe activement de sa succession. Jacques-Adolphe Marier décède à son tour à Sainte-Adèle en 1885 à l'âge de 49 ans.
Même si les moulins ont depuis longtemps cessé de tourner, on retrouve encore aujourd'hui des Marier autant à Saint-Eustache qu'à Sainte-Adèle et à Sainte-Agathe-des-Monts, de même que plus au Nord, à Saint-Faustin, Saint-Jovite et au Mont-Tremblant.
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(1) Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ), greffe Frédéric-Eugène Globensky, CN606,S12, minute 1152, 8 octobre 1821.
(2) Ibid., minute 6070, 10 mai 1843.
(3) BAnQ, greffe André Bouchard dit Lavallée, CN606,S14, minutes 2708 à 2711, 17 mai 1847.
(4) Cette maison d'Augustin-Norbert Morin existe toujours à Sainte-Adèle, dans le secteur Mont-Rolland. Notons que le docteur Lachaîne habitait précédemment une maison de pierre du village de Sainte-Thérèse, encore connue sous le nom de «maison Lachaîne».